Eh l'eau, le ciré brille, brille, brille.


de Jean FOUTRES




La découverte



Quand j'avais quatorze ans, les filles, les femmes, dans ces années soixante, étaient vétues de manteaux de pluie brillants. Elles étaient jeunes, belles, souriantes. Elles avaient "une frimousse". Moi je les regardais fasciné, quand il pleuvait, avec leur parapluie transparent, minijupe et bottes. Toute une époque ! Pourtant décriée en ce temps là. C'était les yéyé, et la minijupe venait d'outre manche, on critiquait... On critiquait mais on aimait bien ça, dans le fond. C'était sûrement "les vieux" qui manifestaient leur satisfaction hypocrite. Moi je me régalais. Petite pluie fine ou grosse averse, les trottoirs brillaient et les femmes aussi. C'était l'époque de Sheila: "le folklore américain", France Gall: "Christiansen", Gilbert Bécaud: "Le jour ou la pluie viendra", Il était une fois: "Viens faire un tour sous la pluie", Dalida: "Sous ton grand ciré"; Petula Clarc: "La gadoue"; Claude Nougaro: "La pluie fait des claquettes", et j'en oublie...

La sève montait en moi, tout doucement. Je me sentais bien sous la douche. Et puis un jour, pourquoi ? Comment ? Je n'en sais rien, j'ai mis mon anorak en étant nu dessous, et je me suis douché à grands jets. Quel plaisir, quelle découverte. C'est ainsi que j'ai découvert mon univers secret. J'avais grande envie de toucher un de ces cirés que je voyais sur les femmes. J'avais peu ou pas d'argent, il fallait que je trouve un truc pour arriver à mes fins. J'ai essayé d'aborder quelques femmes, comme ça dans la rue, en leur disant, que leur ciré était superbe, que je voulais offrir le même à ma mère, ou je ne sais plus quel stratagème. Mais bon, si j'obtenais une adresse c'était bien tout. Naïf, j'avais pensé peut-être qu'Elle m'offrirait son ciré, ou allait m'inviter je ne sais ou, à pouvoir toucher le tissu convoité.

Je décidais d'aller voir cette boutique "MANBY" qu'une jeune femme m'avait indiquée. Elle avait acheté son beau ciré rouge brillant, couture fendue dans le dos. Dans la vitrine de cette boutique pour femmes, un ciré vert clair même coupe était porté par un mannequin de bois. Il était beau, brillant, reluisant. Comment l'obtenir ? Il valait 199 Francs. Il était urgent de réfléchir: Comment trouver cette somme, Comment l'acheter, que dire à la marchande ? Quelle taille prendre ? Mes économies étaient de cinquante francs, nous étions en septembre, pas question d'attendre Noël ou les étrennes, ce sera trop tard, et il faudrait justifier de la dépense. Je réfléchissais, sans trouver de solutions. Mes nuits, je les passais à ressasser le comment faire, je rêvais des histoires invraisemblables, très loin de la réalité terrestre. Mais quel bonheur d'avoir une idée en tête à réaliser. Aujourd'hui je me rends compte de ce plaisir, qui à l'époque était catalogué pour moi, comme un gros soucis. Impossible d'en parler à quiconque. Personne ne pouvait m'aider. Une fois par semaine je passais devant "MANBY" avec la peur au ventre que le ciré soit vendu et qu'il ne soit plus en vitrine.

Je décidais un jour où il n'y avait personne dans la boutique, de rentrer et demander conseil. Avec un mensonge de plus au compteur, je racontais que je voulais offrir ce ciré à ma mère pour son anniversaire, que sa taille était du quarante (j'avais relevé celle-ci, comme correspondante à ma corpulence). La vendeuse m'indiqua avec politesse, qu'elle disposait de quelques modèles en bleu, vert et rouge. Que le mieux serait que Madame ma mère vienne elle-même essayer le vêtement. La dessus une dame entra en me dévisageant. Je remerciais la vendeuse et disparaissais dans les rues de la ville en repensant à tout cela. Demander à une passante de jouer ma mère, OUI, ce serait possible, mais pour payer, il me manquait toujours une somme rondelette.

J'avais une petite copine d'enfance que je connaissais depuis cinq ans, mais son gros défaut, elle ne possédait pas de ciré. Ses parents avaient peut-être jugé ce vêtement trop voyant, ou pas a leur goût. Je lui en avais parlé, je voulais qu'elle vienne le voir. Je voulais son avis. Mais, quand j'ai commencé à lui dire "T'aimerais pas porté un ciré ?" J'ai vu dans son regard, la surprise, et l'incompréhension. J'avais rajouté: "Tu sais ces impers brillants de toutes les couleurs. Quand il pleut on en voit plein" J'ai eu pour réponse: "Ah non, j'aime pas. C'est du plastique, ça colle, ça pu".

Un jeudi que l'on regardait la télévision ensemble (c'était le passe-temps des jeunes à l'époque) je me souviens de cette émission ou Sheila portait une mini jupe et de grandes bottes brillantes. Nous avions tenu une conversation sur cette tenue, qui lui plaisait parce que cela permettait d'attirer les regards sur elle (si elle se vêtissait de la sorte). J'avais fais une seconde tentative avec bottes, mini jupe et ciré, mais c'était clair, ce n'était pas son truc, elle m'avait dit: "NON, le brillant c'est vulgaire, ça fait pute de luxe. J'aime pas le vinyle, le plastique, le latex, le caoutchouc" Pourtant les bottes... C'était alors différent. Allez comprendre ! J'ai très vite changé de sujet et ne lui en ai jamais plus reparlé. Si avec elle, je ne pouvais pas en discuter, avec qui alors ?

Je ne cessais pas de regarder les filles brillantes. Les plus jeunes, je les abordais avec de plus en plus de facilité. Parfois j'osais même toucher le divin tissu. Mais c'était toujours mal perçu. Dès que j'approchais la main pour toucher le bras, le dos, (j'aurais préféré devant, le ventre, la poitrine) mon geste était mal ressenti. J'étais sûrement très maladroit.

Alors je trouvais une autre technique, je les suivais, discrètement, aussi longtemps que possible, parfois il m'arrivait de prendre le métro ou le bus, je m'arrangeais pour m'asseoir à côté d'elles, ou debout, être le plus près possible pour toucher délicatement la matière douce, froide, lisse. J'effleurais comme si de rien était. Comme on se touche dans les transports en communs. Moi qui avais horreur de la foule, j'adorais quand c'était bondé. J'avais une excuse pour me serrer tout près en disant : "Pardon, Excusez-moi". Durant ces filatures, je ressentais un plaisir inexplicable à la vision de ce mouvement, du galbe, des reflets, des gouttes qui coulaient, les plus petites restaient en suspens.

A l'école, il y avait une jeune fille que l'on appelait la demoiselle de cantine. Elle préparait les couverts le midi, faisait la vaisselle, balayait, et rangeait la cantine. Elle travaillait de neuf heures à seize heures je crois. Je la voyais durant la récréation ou la sortie avant les cours du soir. Elle était frisée et portait souvent un ciré blanc avec une fermeture éclair et des bottes aussi brillantes, et comme nous avions déjà bien sympathisé, les années précédentes, le contact était facile, d'autant que à l'extérieur de l'école, derrière les bains douches, nous avions notre petit coin tranquille pour bavarder et nous nous rapprochions de plus en plus. Elle avait une petite fille, certains élèves disaient qu'elle avait couché avec un de troisième et qu'elle avait accouché l'année d'après. Moi je ne posais pas de questions. Je ne voulais pas la perdre, elle était gentille, et douce, et malgré ses dix ans de plus, nous nous aimions bien.

Un jour de pluie fine, nous étions dans notre petit coin tranquille, et je décidais de passer à l'action, j'en avais rêvé depuis si longtemps, je passais ma main sur son sein, sur le ciré mouillé, et j'embrassais l'autre sein, toujours sur le ciré. Cette sensation sur mes lèvres, sur tissu mouillé, cette odeur, ce touché doux. Mes caresses ne lui déplurent pas, elle releva ma tête et m'embrassa, puis ajouta: "Tu aimes bien mon ciré, on dirait". J'étais un peu confus, mais heureux qu'elle ne me rejeta pas.

Un jour elle me fit un "cadeau", avec sa main elle fit glisser la fermeture, passa sa main et dégrafa son corsage; apparu alors un joli petit sein rond tout rose, qu'elle m'invita à sucer doucement. Avec son autre main elle me caressait les cheveux. C'était la première fois que je touchais la poitrine d'une fille, avec ce contact du ciré et cette odeur spécifique du ciré mélangé à l'humidité ambiant. Je sentais mon sexe durcir. J'étais un peu raide, et je me frottais tout doucement contre elle. On était bien, mais nous n'avons jamais été plus loin dans nos ébats. Plusieurs fois nous nous sommes revus de la sorte, mais j'avais beaucoup moins d'entrain, quand elle ne portait pas son ciré. Elle l'avait très bien compris et ne m'emmenait dans notre jardin secret que vêtue de son ciré et bottée.

Je lui avais également demandé conseil sur ce qui m'arrivait. Ce liquide blanc qui coulait parfois de mon pénis. Elle m'expliqua, sans moquerie, que c'était chez les hommes les signes du plaisir et de la jouissance. Bref que je n'étais plus un petit garçon. Je lui avais demandé si elle accepterait de venir avec moi chez MANBY, elle avait dit oui, nous étions allés voir la vitrine, mais le problème financier n'étant pas réglé, nous ne sommes pas entré. Elle l'avait trouvé très joli, mais un peu cher. J'avais trouvé quelqu'un pour parler de mon fantasme, et ça, c'était déjà fabuleux. C'est ainsi que j'ai terminé mes études, pour entrer dans la vie active, ou d'autres rencontres m'attendaient…


A SUIVRE ...